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  L'Euro fort plombe-t-il l'économie européenne?
 

L'euro fort plombe-t-il l'économie européenne ?

L'appréciation de l'euro n'est pas forcément un handicap majeur pour la croissance dans l'ensemble de la zone euro. Mais ses effets diffèrent selon les pays.

L'embellie aura été de courte durée. L'économie de la zone euro semblait être enfin sortie de sa torpeur et progressait depuis le milieu de 2006 sur un rythme de 3% l'an. Elle accuse un nouveau ralentissement depuis le troisième trimestre de 2007. Selon l'OCDE, sa croissance pourrait revenir en deçà de 2% en 2008. Les causes de ce freinage de l'activité sont multiples: resserrement des conditions du crédit, impact de la crise des subprime sur l'activité aux Etats-Unis, retournement du marché de l'immobilier qui gagne l'Europe, niveau record du prix du pétrole... Mais l'une des causes possibles - la force de l'euro - retient particulièrement l'attention des commentateurs et se trouve au coeur du débat politique. Qu'en est-il en réalité?

En première analyse pourtant, la force de la devise européenne ne semble pas constituer un handicap majeur pour l'économie de la zone. La faiblesse de l'euro au début de la décennie n'avait guère empêché la récession de gagner la plupart des économies continentales (notamment l'Allemagne) après l'éclatement de la bulle high-tech et les attentats du 11 septembre 2001. De même, le mouvement d'appréciation de l'euro à partir de 2003 n'a pas empêché la reprise de s'installer progressivement sur le Vieux Continent. Considérée globalement, la zone euro est fortement autocentrée: les exportations se font essentiellement entre les pays de la zone euro, celles vers le reste du monde ne représentant que 16% du produit intérieur brut (PIB) de la zone. Ce qui contribue à expliquer cette relative insensibilité de l'activité aux variations du taux de change de l'euro.

 

Exagération

 

L'appréciation de l'euro vis-à-vis du dollar (+ 70% entre son point bas de 2001 et son niveau fin 2007) donne par ailleurs une image très exagérée de son impact réel sur la compétitivité-prix du secteur productif. Tout d'abord, parce que le point bas de 2001 ne fournit pas, par définition, une référence adéquate pour l'évaluation du niveau actuel. Par rapport à son niveau au 1er janvier 1999, date de lancement de la monnaie européenne, la hausse de l'euro n'est plus que de 25%. Ensuite, parce que la devise européenne n'est pas la seule à s'être appréciée vis-à-vis du dollar au cours de cette période.

Pour apprécier ces évolutions dans leur ensemble, il faut avoir recours à ce que les spécialistes appellent le taux de change effectif de l'euro: il mesure l'évolution de la parité de l'euro par rapport à un panier de monnaies composé des devises des principaux partenaires commerciaux de la zone, chacune étant affectée d'une pondération correspondant à son poids dans les échanges extérieurs de la zone. Selon les calculs de la Banque centrale européenne (BCE), ce taux de change effectif ne se situait au dernier trimestre de 2007 que 10% au-dessus de son niveau au premier trimestre 1999. Et selon le Fonds monétaire international (FMI), le taux de change effectif de l'euro fin 2007 n'était supérieur que de 11% au niveau moyen enregistré au cours de la période 1980-2007. Ce qui expliquerait la sérénité de nombre de dirigeants européens, à commencer par José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, qui voit dans la force de l'euro le signe d'une économie robuste et une marque de confiance de la part des investisseurs étrangers. De plus, les échanges extérieurs de la zone sont équilibrés, tant en ce qui concerne les marchandises que pour l'ensemble des transactions courantes. Ce qui semble bien confirmer que la parité de l'euro n'est pas forcément un handicap pour l'économie de la zone.

 

Exportation* de biens et de services en 2007, en volume, base 100 en 1999

* Pour un pays donné: rapport de l'indice de ses exportations en volume à l'indice de la demande mondiale en volume qui lui est adressée, pondérée par la structure de ses marchés d'exportations.

 

 

Des dividendes non négligeables

 

S'il pénalise le secteur exposé à la concurrence du reste du monde, l'euro fort exerce aussi des effets positifs sur l'économie dans son ensemble. En réduisant le prix des importations, notamment le prix du pétrole et des matières premières, il contribue à amortir l'impact du choc pétrolier sur les économies de la zone. Ainsi, de 2001 à 2007, l'augmentation du prix du pétrole atteint 230% lorsqu'il est mesuré en dollars, mais 115% "seulement" en euros. Sur l'ensemble de la période, les termes de l'échange de la zone euro (c'est-à-dire le rapport entre le prix des exportations et celui des importations) demeurent globalement équilibrés, tandis qu'une dégradation de plus de 5% est enregistrée aux Etats-Unis.

Par ce biais, l'impact modérateur de l'euro fort sur la hausse des prix a facilité le maintien d'une politique monétaire accommodante. Ainsi, le relèvement du taux d'intérêt directeur de la BCE à partir de décembre 2005 a été suffisamment progressif pour ne pas menacer la reprise, laissant le taux d'intérêt réel à court terme évoluer en zone négative jusqu'au troisième trimestre 2007.

La force de la devise européenne offre enfin un stimulant puissant au déploiement international des entreprises de la zone. En abaissant le coût des cibles potentielles, elle facilite en effet l'acquisition d'actifs étrangers et une division plus poussée des processus productifs qui renforce la capacité concurrentielle des entreprises européennes au niveau global. A plus long terme, elle encourage le recentrage des capacités productives sur les activités à plus forte valeur ajoutée et à fort contenu technologique, condition d'un renforcement du potentiel de croissance.

 

Insensibilité allemande

 

L'analyse globale de la zone ne saurait cependant masquer les disparités profondes qui la traversent et les effets asymétriques de l'appréciation de la devise européenne sur les économies nationales qui la composent. L'insensibilité apparente de la zone à l'appréciation du taux de change jusqu'au milieu de 2007 est en fait pour l'essentiel une insensibilité allemande. La quasi-totalité des économies développées, à commencer par les Etats-Unis et le Japon, perdent structurellement du terrain face à la percée de la Chine et des autres économies émergentes sur les marchés mondiaux. L'Allemagne, elle, a réussi depuis 2000 à redresser sa part dans les exportations mondiales, passant de 8% à 9,2% en 2007 (en valeur). Tendanciellement, selon les données de l'OCDE, ses exportations de biens et de services progressent en volume sur un rythme annuel de 8% depuis 2000, soit le double de l'ensemble de ses partenaires industrialisés. Calculée par rapport à la demande mondiale qui lui est adressée (voir graphique), sa part de marché en volume est en augmentation de plus de 10% sur la période 1999-2007. Les parts de tous les autres pays membres de la zone euro, au contraire, régressent, et parfois de façon spectaculaire comme pour l'Italie (- 34%) ou encore la Grèce (- 23%), la France et la Belgique (- 16% chacune).

La spécificité allemande s'explique à son tour par un effet classique de spécialisation favorable, tant en termes de positionnement sectoriel (biens d'équipement) que de présence sur les marchés les plus dynamiques. A cela s'ajoute l'effet de la politique de désinflation compétitive menée tambour battant depuis le début de la décennie. Initialement handicapée par la fixation de la parité mark-euro à un niveau élevé, l'économie allemande a réussi le tour de force de réduire ses coûts salariaux par unité produite en termes nominaux entre 1998 et 2006, alors que ces coûts augmentaient de 15% en France et de 25% en Espagne et en Italie (1). Elle a joué pour cela à fond la carte de l'internationalisation de sa production, prenant appui notamment sur la main-d'oeuvre bon marché d'Europe centrale, ce qui permettait de maintenir la pression sur les revendications salariales internes.

Cette politique, qui équivaut à une dévaluation réelle, lui a permis d'accroître de façon spectaculaire ses parts de marché à l'intérieur de la zone euro, au détriment notamment des économies méditerranéennes (Italie, Espagne, Portugal et Grèce) et de la France, tandis qu'elle en perdait légèrement à l'extérieur de la zone (2). Tirant pleinement parti du dynamisme exceptionnel de la demande mondiale, l'économie allemande est redevenue le moteur de la croissance européenne, en même temps qu'elle freinait celle de ses partenaires européens en grignotant régulièrement leurs parts de marché grâce à son dumping social et fiscal. Coincées entre la concurrence allemande et celle des économies émergentes, les autres économies de la zone souffrent d'autant plus de la hausse de l'euro qu'elles peinent à maîtriser l'évolution de leur coût du travail et à prendre pied dans les nouvelles technologies de l'information.

 

La zone euro peut-elle éclater ?

Si la zone euro dans son ensemble peut s'accommoder d'un euro à 1,35, voire à 1,40 dollar, il n'en est pas de même pour l'ensemble des pays qui la composent. La zone euro considérée en tant qu'agrégat est en effet une abstraction statistique qui masque mal la disparité des évolutions nationales de coûts et de productivité. L'Italie constitue de ce point de vue à la fois un cas extrême et un cas d'école. Spécialisée dans des industries à relativement forte intensité en travail bon marché (textile, cuir, produits alimentaires, meubles, biens électroménagers), l'économie transalpine est tributaire d'un coût du travail modéré pour demeurer compétitive. Les évolutions salariales y étant plus rapides que dans les autres économies européennes, et la productivité progressant plus lentement, la croissance n'a pu se maintenir dans le passé qu'à coup de dévaluations répétées de la lire. Dès lors que la monnaie unique interdit cette possibilité, la dégradation continue de la compétitivité du pays et sa spécialisation défavorable le condamnent à une lente implosion économique, sauf à faire sienne la discipline salariale germanique ou à tenter de prendre en marche le train de la révolution technologique en cours. En attendant, nul ne s'étonnera que les deux tiers des Italiens estiment négatifs l'impact de l'union monétaire sur l'économie nationale. Au point que, selon certains observateurs, l'avenir du pays au sein de la zone euro serait compromis.

Jacques Adda



Alternatives Economiques - Hors-série n°76 - Février 2008

 
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