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  Euro fort, Europe faible
 

Euro fort, Europe faible

par Jacques Le Cacheux, directeur du département des études de l'OFCE, et Eloi Laurent, économiste senior au département des études de l'OFCE.
L'Union européenne subit passivement l'appréciation de l'euro sans adopter une politique de change adéquate.

 

La zone euro a soufflé ses neuf bougies d'anniversaire en accueillant, le 1er janvier 2008, deux nouveaux pays, Chypre et Malte, passant ainsi à quinze membres. Quelques semaines plus tôt, le taux de change de l'euro par rapport au dollar avait brièvement flirté avec le seuil de 1,50 dollar, pour osciller ensuite autour de 1,45 dollar, niveau qui correspond sensiblement au point haut atteint par les monnaies européennes vis-à-vis du dollar à la fin des années 70 (environ 4,50 francs). Depuis son lancement, au taux de 1,17 dollar, l'euro s'est donc apprécié de près de 25% par rapport à la monnaie américaine et par rapport à son point bas, atteint à l'automne 2000, à environ 85%! Quelle fierté! Vive l'euro fort?

L'ambiance est tout autre en interne. C'est même une version soft de la stagflation (*) qui menace: le taux d'inflation officiel de la zone euro dépasse les 3% depuis novembre 2007 tandis que la croissance économique faiblit dangereusement: supérieure à 2% en 2006 et 2007, elle devrait s'inscrire en net recul en 2008. Or, dans le même temps, la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) continue, certes avec hésitation dans le discours, à afficher une orientation restrictive.

Confrontée à une situation interne à certains égards comparable, la Réserve fédérale américaine multiplie au contraire les gestes d'assouplissement: en février 2008, l'écart de taux courts entre les Etats-Unis et la zone euro est ainsi devenu à nouveau négatif, alimentant l'appréciation de la monnaie européenne. Cette appréciation n'est d'ailleurs pas limitée à la seule parité euro/dollar, puisque bon nombre de monnaies étrangères, notamment asiatiques - à commencer par la monnaie chinoise - sont plus ou moins explicitement ancrées au dollar. Et la monnaie européenne s'apprécie désormais aussi par rapport à la livre sterling. Le mouvement n'est donc pas la simple conséquence de la faiblesse du dollar. On assiste à une forte appréciation du taux de change effectif (*) de l'euro (voir graphique) depuis octobre 2000.

L'objectif juridiquement prioritaire et quasi obsessionnel de la politique monétaire de la BCE est la stabilité monétaire. Celui-ci est inscrit dans ses statuts et constitue donc, selon ses dirigeants, son mandat impératif; toutes les autres considérations ne lui sont, au mieux, que subordonnées. Or il est indéniable que l'inflation, telle qu'elle est mesurée par le taux de croissance des indices de prix à la consommation, a connu une apparente accélération en 2007 dans l'ensemble de la zone euro. Les dirigeants de la BCE et les partisans de l'euro fort soulignent l'effet bénéfique de l'appréciation de la monnaie européenne pour apaiser la progression des prix: grâce à la hausse de l'euro, les prix des matières premières, qui ont flambé sur les marchés mondiaux libellés en dollar, ont en effet augmenté plus modérément en euro.

 

L'inflation, vous dis-je, l'inflation...

 

Mais quelle est la réalité de cette poussée inflationniste? Certes, les prix de la plupart des matières premières ont augmenté du fait principalement de la pression de la demande émanant des pays en forte croissance, notamment asiatiques. Mais est-ce bien là ce qu'il est convenu d'appeler "inflation"? La progression moyenne de plus de 3% en glissement annuel de l'indice des prix à la consommation dans la zone euro est bien sûr supérieure à l'objectif moyen annuel que se fixe la BCE (autour de 2%). Elle demeure cependant modérée. En outre, elle masque une grande hétérogénéité des situations nationales: l'accélération est sensible en Espagne et en Allemagne, mais modeste en France et en Italie. Et surtout, elle ne semble pas refléter un emballement des prix et des salaires dans une spirale inflationniste: les hausses de prix sont partout ponctuelles, traduisant ici une augmentation de la fiscalité indirecte (hausse de 3 points de TVA en Allemagne au 1er janvier 2007), là une hausse des coûts de production liée à celle des prix de l'énergie. Mais nulle part dans la zone euro les salaires ne sont indexés sur les prix, et partout, leur progression demeure très faible, comme l'indique d'ailleurs l'ampleur des revendications autour du maintien du pouvoir d'achat.

 

La politique monétaire dans les traités européens

En matière de politique monétaire et de politique de change, les responsabilités des uns et des autres sont définies dans les articles 105 et 111 du traité instituant la Communauté européenne. Le futur traité modificatif, en cours de ratification, ne changera pas la substance de ces deux articles.


Article 105


1. L'objectif principal du système européen de banques centrales (SEBC) est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l'article 2. Le SEBC agit conformément au principe d'une économie de marché ouverte, où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l'article 4.


2. Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à:



  • définir et mettre en oeuvre la politique monétaire de la Communauté,
  •  
  • conduire les opérations de change conformément à l'article 111,
  •  
  • détenir et gérer les réserves officielles de change des Etats membres,
  •  
  • promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.
  •  

Article 111


1. Par dérogation à l'article 300, le Conseil, statuant à l'unanimité sur recommandation de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la Commission, après consultation de la BCE en vue de parvenir à un consensus compatible avec l'objectif de la stabilité des prix et après consultation du Parlement européen, selon la procédure visée au paragraphe 3 pour les arrangements mentionnés, peut conclure des accords formels portant sur un système de taux de change pour l'écu, vis-à-vis des monnaies non communautaires. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur recommandation de la BCE ou de la Commission et après consultation de la BCE en vue de parvenir à un consensus compatible avec l'objectif de la stabilité des prix, peut adopter, modifier ou abandonner les cours centraux de l'écu (1) dans le système des taux de change. Le président du Conseil informe le Parlement européen de l'adoption, de la modification ou de l'abandon des cours centraux de l'écu.


2. En l'absence d'un système de taux de change vis-à-vis d'une ou de plusieurs monnaies non communautaires au sens du paragraphe 1, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la BCE, soit sur recommandation de la BCE, peut formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis de ces monnaies. Ces orientations générales n'affectent pas l'objectif principal du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des prix.


Interprétation


L'ambiguïté juridique de ces articles est à double sens: le Conseil peut formuler des "orientations générales de politique de change" dans le respect de l'ordre économique lexicographique européen (d'abord la stabilité des prix puis, quand celle-ci est établie, le reste des objectifs de politique économique, article 111); mais la BCE, soumise elle aussi à cet ordre, doit, après avoir été consultée, les mettre en oeuvre (article 105). Non seulement la politique de change apparaît comme une compétence partagée, mais, à travers elle, c'est l'appréciation de la stabilité effective des prix qui le devient également.

 
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