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  l'inflation est-elle de retour?
 

L'inflation est-elle de retour ?

Malgré une récente poussée, l'inflation reste très sage par rapport aux niveaux enregistrés dans les années 80. Il y a cependant quelques raisons de s'inquiéter.

Depuis plusieurs mois, la hausse des prix est redevenue un sujet d'inquiétude aux quatre coins du monde. Dans la zone euro, la progression de l'indice des prix dépassait 3% en novembre et décembre en rythme annuel (2,8% en France), un seuil atteint une fois seulement depuis la création de l'euro. Le dérapage est encore plus net aux Etats-Unis, où les prix enregistraient en décembre une hausse de 4,1% par rapport à l'année précédente, la plus forte poussée depuis dix-sept ans. Et les pays émergents ne sont pas en reste: en Chine, l'inflation, encore cantonnée sous les 2% en 2005, progresse régulièrement depuis et dépasse désormais les 6% par an.

Cette petite poussée de fièvre inflationniste tient essentiellement à l'envolée des prix du pétrole et des matières premières agricoles. Alors que le baril de brent s'échangeait à moins de 60 dollars en janvier 2007, il tutoyait les 100 dollars en décembre dernier. Les prix agricoles enregistrent des hausses tout aussi vertigineuses sur les marchés mondiaux: le cours du blé a quasiment doublé en un an, celui des graines de soja a pris 75%.

 

Des causes qui vont durer

 

Cela va-t-il se calmer? Pas facile à dire. S'agissant du pétrole, l'envolée récente des cours tient surtout à des facteurs conjoncturels: la baisse des quotas de production décidée par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et un regain de spéculation. Mais les causes structurelles de la hausse des prix - la demande vigoureuse des pays émergents face à des capacités de production limitées - sont là pour durer. D'autant qu'on n'est jamais à l'abri d'un nouvel aléa - un hiver rigoureux, par exemple - qui ferait flamber les cours de plus belle.

Quant aux produits agricoles, la hausse tient notamment à la sécheresse exceptionnelle qu'a subie l'Australie. L'offre devrait s'accroître cette année, dans l'hypothèse d'un retour à des conditions météorologiques normales. Ce qui aura pour effet de détendre les prix. Mais, là encore, la tendance à long terme est celle d'une hausse de la demande, due à la fois à l'évolution des préférences alimentaires - plus riches, les pays en développement sont notamment de plus en plus consommateurs de viande - et au développement rapide des biocarburants, qui viennent de plus en plus concurrencer l'alimentation pour l'usage des terres agricoles.

Cette flambée des cours se retrouve, en bout de chaîne, dans les prix à la consommation. En France, le prix des produits pétroliers a augmenté l'an dernier de 17%. "Seulement", est-on tenté de dire, car l'impact de la hausse des cours mondiaux du brut sur le porte-monnaie des ménages a été doublement amorti: par l'appréciation de l'euro (comme la monnaie européenne a progressé de près de 15% en 2007 face au dollar, qui reste la devise de facturation des produits de base, le prix de ces produits en euro a baissé d'autant) et par la fiscalité (la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou TIPP, est un prélèvement fixe, elle pèse donc relativement moins lourd quand le prix monte.)

 

Energie et produits alimentaires

 

Ce regain d'inflation reste cependant limité pour le moment à l'énergie et aux produits alimentaires, qui pèsent environ le quart du "panier de la ménagère" sur lequel se fonde l'Insee pour calculer son indice des prix. Pour les trois quarts restants, les prix restent sages. Ce qu'on appelle l'inflation sous-jacente - une fois exclus les prix les plus volatils - est toujours contenue. C'est aussi le cas de la progression des salaires: on n'observe pas, pour le moment, de signes que s'enclencherait cette fameuse "boucle prix-salaires", le mécanisme majeur d'amplification de l'inflation.

La situation est en effet très différente de celle des années 70: à l'époque, la hausse des prix s'était rapidement généralisée, notamment parce que les augmentations salariales étaient alors souvent indexées sur les prévisions d'inflation dans le cadre des accords collectifs entre salariés et employeurs. Ces mécanismes ont été démantelés dans les années 80. De plus, la mondialisation joue désormais un effet modérateur sur les salaires: l'irruption en moins de deux décennies de géants du Sud dans le jeu de l'économie mondialisée a exacerbé la concurrence et beaucoup réduit le pouvoir de négociation des salariés du Nord. La peur de perdre son emploi passe souvent désormais avant la défense du pouvoir d'achat.

Agiter le spectre d'un retour de l'inflation paraît donc excessif. D'autant que la progression récente des prix demeure très modeste dès qu'on prend un peu de recul historique. On reste toujours très loin des niveaux d'inflation atteints dans les années 70 et au début des années 80.

 

Le moment est mal choisi

 

Il y a pourtant quelques raisons de s'inquiéter. La première, c'est que cette poussée d'inflation, même modeste, tombe mal. Elle arrive à un moment où une double crise immobilière et financière menace déjà la consommation. La crise immobilière risque de se traduire par une perte de richesse pour les ménages si les prix se mettent à baisser (ce qui est aujourd'hui le cas aux Etats-Unis, mais pas en France). La crise financière limite quant à elle leur capacité d'endettement, car les banques commencent à couper le robinet du crédit. Là-dessus, l'inflation vient éroder un peu plus leur pouvoir d'achat. Les menaces s'accumulent donc sur ce qui constitue le principal moteur de la croissance dans les grands pays développés: les dépenses de consommation, qui représentent plus de la moitié du produit intérieur brut.

 

Variation de l'indice des prix à la consommation en France et aux Etats-Unis, en glissement annuel, en %

 

Cette situation met les banques centrales face à un délicat dilemme: leur priorité doit-elle être de soutenir l'activité et le crédit dans une période critique, en baissant le loyer de l'argent (les taux d'intérêt), ou bien de les augmenter (ou de les maintenir malgré le ralentissement de l'économie) pour faire rempart à la poussée inflationniste? La banque centrale américaine a clairement fait le premier choix. La Banque centrale européenne (BCE) semble jusqu'à présent privilégier le second. Elle entend ainsi montrer sa détermination à éviter que les anticipations inflationnistes ne dérapent. Au risque de laisser l'activité s'enliser.

Il se pourrait bien que la BCE, ce faisant, exagère son rôle de gardienne de la stabilité des prix. Nombre d'économistes considèrent en effet que l'inflation dépend de plus en plus de facteurs globaux sur lesquels les banques centrales n'ont pas vraiment de prise. Au cours des quinze dernières années, la mondialisation a joué en faveur de la désinflation, en démultipliant les capacités de production à bas coût. Mais tôt ou tard, l'effet inflationniste de la demande supplémentaire émanant des pays émergents finira probablement pas l'emporter sur cet effet désinflationniste. On observe déjà que les prix des biens manufacturés, qui baissaient depuis trois ans en France, sont repartis à la hausse en 2007. Pas étonnant quand on sait que les salaires ont progressé de près de 20% en Chine en 2007. Cette évolution est en soi plutôt une bonne nouvelle pour les Chinois, comme pour les pays développés. Et même si elle devait se traduire par un peu plus d'inflation chez nous, la politique monétaire européenne n'y peut de toute façon pas grand-chose.

 

Les prix des actifs négligés

Les banques centrales s'émeuvent dès que l'inflation des prix des biens et des services frémit, mais elles laissent les prix des actifs immobiliers et financiers s'envoler. Alors que l'inflation des prix des biens et des services est stable et limitée à moins de 2% en moyenne depuis plus de dix ans, on ne peut pas en dire autant des prix des actifs (*) : les actions des entreprises françaises ont ainsi progressé de près de 13% par an en moyenne depuis dix ans (selon l'indice SBF 250), avec toutefois de très violentes oscillations; et les prix des logements ont doublé depuis 2001.


Les banques centrales sont même accusées de favoriser les bulles spéculatives. En laissant, dans un premier temps, se développer, sans augmenter leurs taux d'intérêt, les achats d'actifs à crédit qui font gonfler leurs prix, puis en baissant massivement les taux quand la bulle explose, créant ainsi les conditions d'un nouvel emballement du crédit. Ainsi, la Fed, la banque centrale américaine, a-t-elle assisté sans réagir à la montée de la bulle Internet pendant la seconde moitié des années 90 (son président de l'époque, Alan Greenspan, s'était contenté de parler de "l'exubérance irrationnelle" des marchés). Quand la bulle a explosé en 2001, menaçant d'entraîner l'économie dans une sévère récession, la Fed a baissé massivement ses taux d'intérêt. Résultat: les ménages ont pu s'endetter à bas prix pour acquérir un logement et les prix de l'immobilier se sont envolés, jusqu'à ce que cette nouvelle bulle éclate et ne menace une fois encore la croissance.


Détecter et combattre la formation des bulles n'est cependant pas chose aisée. D'abord, il n'existe pas de "juste prix" des actifs qui puisse servir de référence incontestable. En outre, intervenir de manière préventive reste une opération à haut risque: en remontant les taux d'intérêt pour décourager les spéculateurs, la banque centrale risque aussi de ralentir la croissance - et ce au nom d'une menace de bulle qui n'est pas encore avérée.

Sandra Moatti



Alternatives Economiques - Hors-série n°76 - Février 2008

 
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